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FORUM CAMPUS PSY 2024

DÉSIR D’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ? LES ALGORITHMES ET LA PAROLE

 

 

Une révolution : ça vous parle ?

L’intelligenceartificielle(IA) est devenue omniprésente dans nos vies et dans les médias. Le terme n’est pas nouveau : Alan Turing, dans les années 50, fut un pionnier de l’IA avec sa machine de papier, considérée comme l’un des concepts fondateurs de l’informatique moderne. Mais la sortie de ChatGPT en novembre 2022 a produit un buzz mondial. Ce robot conversationnel, produit par OpenAI, est en effet capable de générer du contenu de façon autonome et semble s’exprimer comme un humain. Le philosophe Alexei Grinbaum parled’un « changement de la condition humaine » lié au « fait quedésormais, nous sommes entourésd’agents non humains qui parlent notre langue », ce qui n’est pas sans créer du trouble « car nous, humains, faisons sens de la langue [1] ». Ainsi, le langage, l’image ou le son produits par l’IA ont beau être générés par un mécanisme purement mathématique et asémantique, il n’en reste pas moins que le résultat (textes, images, etc.) est signifiant pour nous, et suffisamment proche de nos propres productions pour faire naître un sentimentd’inquiétante étrangeté.

Du côté de la psychanalyse, la question est prise à rebours par Lacan [2], pour qui il ne s’agit pas tant de savoir jusqu’à quel point une machine peut sembler humaine, mais de souligner la pente de l’humain à se faire machine, avec cette idée reprise par Jacques-Alain Miller qu’« à force de produire des machines, […] il s’est produit quelque chose dans l’imaginaire de l’homme contemporain – se prendre pour une machine ou aimer être traite? comme une machine [3]».

Si l’IA provoque de la fascination chez certains, du rejet chezd’autres, A. Grinbaum nous invite à « éviter la paralysie de la nouveauté [4]». Pour cela, encore faut-il s’y intéresser et se mettre à l’heure de ces nouvelles technologies. En effet, la complexité de l’IA, le vocabulaire spécifique qu’elle charrie, et la rapidité avec laquelle elle évolue, nous obligent à faire appel à des spécialistes du domaine pour en saisir le fonctionnement et en mesurer les enjeux. Impossible de s’engager dans ledébat autour des questions politiques, épistémiques et cliniques que soulève l’IA sans une mise à jour et un dialogue avec les chercheurs. C’est un des enjeux de ce Forum Campus Psy.

 

Science et psychanalyse : un destin lié

La révolution produite par l’IA concerne la psychanalyse car elle est liée à l’avenir de la science, ce que Lacan indiquaitdéjà en 1965 dans « La science et la vérité ». Si « le discours de la science a des conséquences irrespirables pour […] l’humanité », la psychanalyse offre quant à elle une respiration, « c’est le poumon artificiel […] pour que l’histoire continue [5]», en faisant accueil au plus singulier du sujet, auchaque-un, là où la science s’impose à tous, de façon universelle.

L’IA a envahi notre quotidien, sans qu’on en mesure vraiment l’ampleur. Nous sommes naturellement plus portés à profiter de son usage qu’à interroger son fonctionnement. Le philosophe Éric Sadin[6]alerte sur le risque inhérent à cette « passion de l’utilité » qui nous fait adosser nos vies sur des systèmes qui viennent en soutien à l’humain, mais qui au-delà s’imposent comme « énonciateurs de vérité ». En nous indiquant ce que nous devons faire ou penser, « c’est le tournant injonctif de la technique » qui apparaît selon l’auteur, avec pour conséquence « le renoncement à l’effort ».

 

« Allonger les algorithmes sur le divan[7]»?

Avec l’arrivée des chatbots, le rapport au savoir, plus précisément au sujet supposé savoir, se trouve également modifié. À l’ère de l’IA, il devient possible pour le sujetd’obtenir une réponse à chacune de ses questions, en s’en remettant à « un Autre de synthèse [8]», supposé savoir. Cet usage pose la question de sa responsabilité. En effet, comment le sujet qui a recours à ChatGPT peut-il se faire responsable du savoir produit ?

La révolution annoncée n’est-elle pas dans le fond la promesse que les choses vont se faire à notre place,déchargeant ainsi le sujet de sa responsabilité ? La question de l’éthique estd’emblée posée.

Penser aux enjeux et aux conséquences de l’IA sur nos vies ne peut se faire sans avoir à l’esprit la logique algorithmique qui la sous-tend et la nourrit. Le sociologue Dominique Cardon invite à comprendre et à questionner ce qu’il appelle « la révolution des calculs », en allongeant « les algorithmes sur le divan » afind’entendre « la variété de leursdésirs », et mieux saisir la façon dont ils sont produits. Si la logique algorithmique s’appuie sur les choix singuliers de l’utilisateur, elle enferme tout aussi bien « les individus dans la bulle de leurs propres choix, et [plie] leur destin dans l’entonnoir du probable [9] ». Le modèle prédictif fait ainsi naître un nouvel inconscient en prétendantdévoiler au sujet ce qu’il ne sait pas encore, à l’instar de l’interprétation analytique qui fait entendre au sujet ce qu’il dit à son insu. Mais c’est à la différence près que cette logique repose sur l’identification du sujet à ses pairs « en se réglant sur le trafic des autres [10]», là où l’expérience analytique vise à s’endéfaire pour accéder à son propredésir, en dehors de toute norme. Faut-il encore vouloir savoir quelque chose de ce qui nous gouverne.

L’actualité brûlante et inquiétante de l’IA invite les psychanalystes à s’y intéresser si nous voulons garder le tranchant de notre orientation et maintenir vivante notre praxis. Le Forum Campus Psy est là « pour être dans le vif de l’actualité », non pas « pour choisir son camp mais pour propager la subversion de Lacan [11]». La journée s’organisera autour de plusieurs séquences qui prendront la formed’un dialogue entre des acteurs de la société, des psychanalystes et des cliniciens, qui témoigneront de la façon singulière dont la psychanalyse accueille les nouveaux symptômes en lien avec cette révolution technologique.

Chaque séquence visera à éclairer et à interpréter, ce que le discours ambiant véhicule et ses effets sur le lien social. Il s’agira avant tout de faire entendre la parole de ceux dont ledésir de savoir reste vif, face à la fascination que l’IA peut exercer.

Le Forum Campus Psy est organisé par l’ACF en VLB en association avec les Sections et Antennes cliniques d’Angers, Brest-Quimper, Nantes et Rennes.

Hélène Girard, déléguée régionale de l’ACF en VLB

 

[1] Grinbaum A., « Avec l’IA générative, on assiste à un changement de la condition humaine », L’Éléphant, n°45, janvier 2024.
[2] Dumoulin Q., Clinique(s) avec le numérique, Paris, Éditions In Press, mars 2024.
[3] Miller J.-A., « Neuro-, le nouveau re?el », La Cause du de?sir, n° 98, mars 2018, p. 112.
[4] Grinbaum A., « Avec l’IA générative, on assiste à un changement de la condition humaine », op. cit.
[5] Lacan J., « Le jouir de l’être parlant s’articule », La Cause du désir, n°101, mars 2019, p. 13, disponible sur Cairn. Texte retranscrit de l’intervention enregistrée en décembre?1973 sur France Culture et diffusée sur le site Radio?Lacan.
[6] Sadin É., « IA : le devenir légume de l’humanité », octobre 2023, entretien disponible sur YouTube.
[7] Cardon D., À quoi rêvent les algorithmes. Nos vies à l’heure des big data, Paris, Seuil, coll. La République des  Idées, 2015, p. 13.
[8] Fajnwaks F., « Il n’y aura pas d’algorithme pour numériser l’analyste », La Cause du Désir, n°97, mars 2017, p. 57, disponible sur Cairn.
[9] Cardon D., op. cit., p. 16.
[10] Ibid., p. 106.
[11 ] Alberti C., « Campus psy »,14 janvier 2013, disponible sur internet.

 

Dernière modification : 24/07/2024

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