2013-2014

Les paradoxes du désir – Lecture du Séminaire « Le Désir et son interprétation » (1)

 

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Que montre Lacan ? Que le désir n’est pas une fonction biologique ; qu’il n’est pas coordonné à un objet naturel ; que son objet est fantasmatique. De ce fait, le désir est extravagant. Il est insaisissable à qui veut le maîtriser. Il vous joue des tours. Mais aussi, s’il n’est pas reconnu, il fabrique du symptôme. Dans une analyse, il s’agit d’interpréter, c’est-à-dire de lire dans le symptôme le message de désir qu’il recèle.

Si le désir déroute, il suscite en contrepartie l’invention d’artifices jouant le rôle de boussole. Une espèce animale a sa boussole naturelle, qui est unique. Dans l’espèce humaine, les boussoles sont multiples : ce sont des montages signifiants, des discours. Ils disent ce qu’il faut faire : comment penser, comment jouir, comment se reproduire. Cependant, le fantasme de chacun demeure irréductible aux idéaux communs.

Jusqu’à une époque récente, nos boussoles, si diverses qu’elles soient, indiquaient toutes le même Nord : le Père. On croyait le patriarcat un invariant anthropologique. Son déclin s’est accéléré avec l’égalité des conditions, la montée en puissance du capitalisme, la domination de la technique. Nous sommes en phase de sortie de l’âge du Père.

Un autre discours est en voie de supplanter l’ancien. L’innovation à la place de la tradition. Plutôt que la hiérarchie, le réseau. L’attrait de l’avenir l’emporte sur le poids du passé. Le féminin prend le pas sur le viril. Là où c’était un ordre immuable, des flux transformationnels repoussent incessamment toute limite.

Freud est de l’âge du Père. Il a beaucoup fait pour le sauver. L’Église a fini par s’en apercevoir. Lacan a suivi la voie frayée par Freud, mais elle l’a conduit à poser que le Père est un symptôme. Il le montre ici sur l’exemple d’Hamlet.

Ce que l’on a retenu de Lacan – la formalisation de l’Œdipe, l’accent mis sur le Nom-du-Père – n’était que son point de départ. Le Séminaire VI déjà le remanie : l’Œdipe n’est pas la solution unique du désir, c’est seulement sa forme normalisée ; celle-ci est pathogène ; elle n’épuise pas le destin du désir. D’où l’éloge de la perversion qui termine le volume. Lacan lui donne la valeur d’une rébellion contre les identifications assurant le maintien de la routine sociale.

Ce Séminaire annonçait «le remaniement des conformismes antérieurement instaurés, voire leur éclatement». Nous y sommes. Lacan parle de nous.

Jacques-Alain Miller, Argument du Séminaire VI


1. Texte établi par Jacques-Alain Miller

Liens vers les pages du thème :

Séminaires théoriques

Séminaires de textes

Séminaire du Cercle


Historique des conférences des invités :

  • 23 novembre 2013 – Marie-Hélène Blancard
  • 14 décembre 2013 – Nassia Linardou
  • 11 janvier 2014 – Anaëlle Lebovits Quenehen
  • 8 février 2014 – Bernard Porcheret
  • 22 mars 2014 – Dominique Laurent
  • 12 avril 2014 – Geert Hoonaert
  • 24 mai 2014 – Patricia Johansson-Rosen

 

Dernière modification : 20/08/2015

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