2021-2022

Le transfert dans l’écoute analytique

 

    Le transfert est un des concepts les plus anciens de la psychanalyse, puisqu’il remonte à la découverte freudienne de l’inconscient dans ses premiers balbutiements. En effet, le transfert de celui ou de celle qui souffre et vient se confier en espérant trouver la cause de son ou ses embrouille(s) à un psy, est à la fois reconnu de tous et banalisé dans le grand public. De même que tout acte manqué ou lapsus est reconnu comme tel dans la vie quotidienne, mais sans qu’aucune conséquence n’en soit tirée, de même le transfert, quand il surgit, est passé à la planche à laver et à l’essoreuse du cognitivisme et des neurosciences. Il est en même temps effacé dans son tranchant et ses arêtes les plus aigües. Et ceci, conformément au scientisme ambiant, fermement positiviste et ancré dans la volonté d’abolir toute subjectivité dans le traitement des névroses et des psychoses. Cette volonté fait le lit des psychothérapies et des traitements reconnus et de plus en plus prônés par la bureaucratie sanitaire – qui se plaint en même temps du délabrement de la psychiatrie dans le secteur hospitalier et institutionnel et du fait que les vocations s’éteignent, c’est-à-dire que les organismes d’état n’assument en aucune façon les conséquences des politiques poursuivies dans ce domaine.

     En cette année 2021, l’École de la Cause freudienne, avec bien sûr son ACF et l’ensemble des sections cliniques UFORCA, a lancé un appel qui a été très largement entendu pour dénoncer cette situation.

    Hervé Castanet, coordinateur de la Section Clinique d’Aix-Marseille, s’exprimait récemment dans les termes suivants : « L’arrêté du 10 mars dernier, relatif à la définition de l’expertise des psychologues [pris par le ministère de la Santé], dans la hâte des circonstances de la pandémie et sans consultation des représentants de la profession, est tout simplement inacceptable. » Il lançait ainsi un appel, réunissant autour de lui des professionnels de la psychiatrie, visiblement ulcérés de l’initiative gouvernementale. « [Cet arrêté] vise à mettre la profession en coupe réglée, en la subordonnant au champ médical et aux recommandations de la Haute Autorité de Santé, qui n’ont pourtant pas force de loi, mais aussi à réduire la diversité de ses pratiques au seul référent cognitivo-comportemental, pratiques visant à faire taire le sujet en le réduisant à son seul cerveau. Des traitements médicamenteux jusqu’aux électrochocs, plutôt que la parole et l’écoute. Voilà pour l’enjeu. [1] »

    À l’heure où j’écris ces lignes l’arrêté n’est pas encore entré en vigueur… Il concernerait les professionnels de l’écoute, sauf les psychanalystes, mais la plupart de ceux qui s’inscrivent à UFORCA sans être encore admis dans une école d’analystes (avec la garantie qu’elle offre à ses membres) sont orientés dans leur pratique par la psychanalyse et l’écoute, telle que Jacques-Alain Miller l’a définie dans son cours du 10 juin 2009 [2].

    Il considère en effet que Lacan dans sa lecture de Freud n’a pas fait que le commenter, il l’a aussi modifié. « Le premier tour que l’enseignement de Lacan met en place, [par rapport à Freud] exploite la subordination de la jouissance au primat du langage, de sa structure. Le passage à l’envers que nous a indiqué Lacan et qu’il n’a pas accompli, si je puis dire, avec la même perfection que son premier tour, ce passage à l’envers a consisté dans la subordination du langage, de sa structure, à la jouissance. Cela est corrélatif d’un déplacement de ce qu’il est convenu d’appeler l’écoute analytique, qui va bien au-delà d’une écoute, qui implique l’interprétation, et qui implique les finalités de la jouissance, ce n’est pas une abstraction. Concernant la pratique, c’est placer les phénomènes qui y apparaissent, la parole de l’analysant, ce dont elle témoigne, sous l’égide de la question “qu’est-ce que ça satisfait ?” Et cette question est sensiblement distincte de la question “Qu’est-ce que ça signifie ?” »

    Le programme de cette année va examiner sous toutes ses coutures les aspects du transfert, et donc de l’écoute, au sens défini par J.-A. Miller dans le passage ci-dessus, à savoir ce qu’il en est de l’écoute sous transfert quand la question de la satisfaction de fin remplace l’hypothèse de la traversée du fantasme. Car « il n’y a pas que le corps qui jouit, il y a la jouissance de la parole, il y a la jouissance de la pensée […]. Le langage lui-même en tant qu’il est aussi appareil de jouissance » ne peut pas ne pas influer sur notre façon de pratiquer une écoute qui soit vraiment analytique au sens où l’époque l’exige, au temps du déclin du Nom-du-Père, de l’inexistence de l’Autre, et d’un pousse-à-la-jouissance surmoïque incarné particulièrement par les réseaux sociaux. Que se passe-t-il donc avec le transfert quand les influenceurs prennent le pas sur les modèles jadis fournis par les grands hommes ?

    Je propose que nous examinions cette question en prenant le concept de transfert à partir du Séminaire XI moment où Lacan lui donnait sa dimension de concept fondamental de la psychanalyse et introduisait son objet a, objet extime qui marquait l’introduction de la jouissance dans une psychanalyse jusque-là consacrée à la significantisation de l’imaginaire, consacrant la domination du signifiant sur la jouissance.

    Nous nous appuierons entre autres sources sur la série En thérapie ou en tout cas sur quelques extraits de cette série qui a montré, comme Jean-Claude Maleval l’a fait valoir[3], que les téléspectateurs français sont encore sensibles à la psychanalyse et aux différentes facettes que le transfert peut prendre, même si les épisodes font référence à une pratique de la psychanalyse qui n’est pas celle de l’écoute telle que J.-A. Miller la définit dans le texte cité. Mais aussi et surtout, nous compterons avec les AE et ex-AE et le travail qu’ils ou elles effectuent pour éclairer l’usage du transfert dans la pratique et l’écoute au temps où la jouissance a supplanté le signifiant.

Pierre-Gilles Guéguen

 

[1] Fournier S., « Les “psys” tiennent forum face aux “attaques” contre leur discipline », interview d’Hervé Castanet, La Marseillaise, 27 mai 2021, disponible sur internet.

[2] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse », cours du 10-06-2009, enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8. Disponible sur https://www.causefreudienne.net

[3] Maleval J.-C., avec Marret-Maleval S., « En thérapie : une surprise bienvenue », Lacan Quotidien, n°917, 28 février 2021, disponible sur internet.

 

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Dernière modification : 20/07/2022

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